Albert Lamargot

8 Jan 2014 | Portraits | 1 commentaire

Albert Lamargot a squatté pendant des années la maison où j’habite. Il refusait de payer son métayage, refusait de partir, et se prétendait chez lui. Pour le faire partir enfin, mon père, qui a hérité de son père la maison avec ses occupants, lui a donné une partie du terrain où ils se sont construit une maison.

Et puis il m’a donné la maison, avec une mission : essayer d’arrondir les angles. Il faut dire qu’il y avait du boulot. Pendant des années, les insultes, les menaces de mort et les tribunaux ont été les seuls modes de communication.

Aujourd’hui je m’entends très bien avec mes voisins, les Dubois, qui sont adorables  (madame Dubois est la soeur de Lamargot, si j’ai bien compris). Et mon père a pu récupérer les prés pour y élever ses chevaux mission accomplie.

Mission accomplie, mais pour Albert, c’est plus difficile. Enfin, plus difficile pour lui surtout.

Il ne rate pas une occasion de venir se promener dans le pré derrière chez moi, de ramasser les noix, de passer avec son fusil quand il va à la chasse. D’après les gens du coin ce sont des provocations qui me sont destinées, mais s’il savait comme je m’en fous il ne risquerait pas un rhume à venir marcher dans l’herbe mouillée de mon pré.

A un moment il croyait venir me faire chier en venant me voir quand ma haie devenait trop haute. Mais il n’avait pas prévu que je suis bien plus con que lui : quand il m’explique pourquoi ma haie fait de l’ombre à son potager (qu’il a placé exprès à cet endroit), je lui dis que j’aime l’ombre. Quand il m’engueule parce que mes bambous envahissent son jardin,  je lui dis que le bambou c’est joli, et que je n’ai jamais planté de bambous, que les bambous sont libres et qu’ils font partie de la nature. Maintenant il ne vient plus; il a compris que je m’en foutais aussi et qu’il perdait son temps.

Il fallait voir sa tête, quand après avoir écouté pendant 15 minutes ses explications techniques sur la manière de réparer ma faute en éradiquant les bambous, je lui répondais un truc qui n’avait rien à voir et qui montrait que je n’avais rien compris. Je me suis bien amusé. J’ai cru des fois qu’il allait me faire une attaque de perplexité. 

Bon. Ca ne m’a pas amusé longtemps. Aujourd’hui je veille à faire tailler ma haie une fois par an.

Bref, avec moi il essaye d’être chiant mais il n’y arrive pas vraiment. Le problème, ça n’est pas moi, il n’ose pas m’attaquer frontalement. Ce que j’apprécie moins ce sont les menaces envers les gens qui viennent s’occuper des chevaux, les dénonciations, insinuations, et autre propos qui me sont systématiquement rapportés par les gens des environs.

Les gens des environs, au passage, ça les fait bien rire cette saga qui dure depuis plus de 60 ans (les vieilles dames de ma famille, aujourd’hui décédées, m’ont souvent raconté que tout a commencé pendant la guerre, quand Lamargot trouvait plus rentable de vendre ses produits et garder l’argent pour lui sans payer son dû… vieilles histoires de famille).

A propos de saga, j’ai récupéré tous les papiers : mon grand-père a gagné tous ses procès, pendant des années. Mais jamais les gendarmes n’ont fait appliquer les décisions d’explusion. Les Lamargot, d’après ce qu’on m’a raconté, les attendaient avec les fusils. Je pense que ça n’est pas la peine de préciser qui portait le fusil. 

Dans tout ce western corrézien, il y a probablement beaucoup de vrai et aussi beaucoup de légendes. Mais ce qui est clair, c’est qu’il y a un sale type, et c’est lui.

Heureusement, il ne va pas pourrir l’ambiance éternellement. Il se fait vieux. Bientôt toute cette histoire ne sera plus qu’un souvenir.