Gaston Denis

25 Jan 2014 | Portraits | 0 commentaires

Gaston Denis avait pour habitude de nous « rendre visite » : Il arrivait à l’improviste, sonnait, puis entrait dans la maison en disant « Y’a quelqu’un ? » C’est quelque chose qui se fait (qui se faisait beaucoup) à Pompadour. On passe chez les gens, on entre, on appelle.

Ca terrorisait ma mère, qui n’était pas du tout habituée à cette manière de faire. On avait beaucoup de visites, et pas seulement de Gaston Denis : les gens qui voulaient utiliser le tennis, ceux qui cherchaient mon père, ceux qui voulaient aller pêcher dans l’étang, et tout simplement les gens qui passaient pour saluer.

Des centaines de fois j’ai vécu la même scène : ma mère, cachée à l’étage, osant à peine respirer, me demandant de me taire, jusqu’à ce que l’intrus s’en aille.

La particularité de Gaston Denis, c’était la régularité de ses visites. Il aimait beaucoup mon grand-père qui lui avait donné un coup de main dans sa jeunesse, et se sentait lié à la famille.

Parfois, on allait rendre visite à Gaston Denis. Il vivait dans une ferme avec sa famille. Il y avait là une vieille dame, qui devait être sa mère, puis sa femme et sa fille. On me servait à chaque fois du café au lait. Avec la peau, que je laissais sur le côté du bol. C’étaient des visites qui me semblaient interminables, mais il y avait toujours le moment où Gaston m’emmenait voir les vaches.

Plus tard, Marie-Jeanne, sa femme, puis la fille de Gaston se sont suicidées, à quelques années d’intervalle. En se noyant dans un étang (une méthode très fréquente, en Corrèze : se jeter dans un étang avec sa voiture). L’une d’elles, je ne me souviens pas laquelle des deux, s’appelait Marie-Jeanne.  Depuis, à chaque fois que j’entends la chanson de Joe Dassin je me revois dans cette cuisine en train de boire le café au lait avec la peau.

Pendant des années, lorsqu’il passait à Paris, Gaston venait rendre visite à ma mère. Il passait des heures à raconter ses histoires à la fois emmerdantes et fascinantes, tirées de sa vie d’expert agricole : des propriétés à évaluer, des histoires d’héritage, des luttes de voisinage. Tous les ingrédients pour des romans violents et ancrés dans la terre. Il aurait bien voulu que ma mère vienne à Pompadour vivre avec lui, car « un homme a besoin d’une femme pour lui faire la soupe » et « une femme n’est pas faite pour rester seule« . S’il savait à quel point ma mère déteste cuisiner…

Gaston est un très vieux monsieur maintenant. Il ne monte plus à Paris; il ne fait plus de visite, mais je l’ai encore croisé dans les rues de Pompadour, il n’y a pas si longtemps.