Jean-Luc 2larue

10 Jan 2014 | Portraits | 0 commentaires

Nouvel univers. Pour changer un peu. Le Jean-Luc  2larue de cette fiche est  celui que tout le monde connaît, c’est le fondateur de Réservoir-Prod.

Pourtant j’ai connu un autre Jean-Luc Delarue, en maternelle. D’où le nom qu’il porte sur ce blog : Jean-Luc 2larue. Un nom de code, un peu en souvenir du nom de code que ses proches lui donnaient en permanence lorsqu’ils parlaient de lui, pour ne pas attirer l’attention ou divulguer d’information par mégarde.

Lorsque j’ai été recruté, je travaillais chez Club-Internet. Un matin, j’arrive au bureau. Richard Menneveux était en train de lire l’annonce à haute voix. Il venait de la découvrir sur le Web. Rédacteur en chef Internet pour un client non précisé… J’avais envie de partir, j’ai envoyé un CV, j’ai été convoqué chez Imaginet, interviewé, sélectionné, reçu par Florian Gazan, par Jean-Guy de la Casinière, par Jean-Luc, puis recruté.

Le projet pour lequel j’ai été choisi était la mise en place d’une émission quotidienne en access prime time : C’est l’Heure. Plein de chroniqueurs, une heure d’antenne en direct, rediffusion de l’émission en direct sur le Web et mise en ligne de toutes les infos.

Lors du premier entretien, 5 minutes maximum, Jean-Luc m’a dit : « c’est toi le pro, je veux que ça marche, tu nous dis comment il faut faire, et puis après ton job c’est que ça tourne. A toi de jouer ». Sortant d’une structure où il fallait organiser 25 réunions pour obtenir une décision, j’ai senti se lever un vent de liberté. Et c’est ainsi que j’ai eu la chance de travailler pendant près de trois ans : entouré de pros, responsable du bon fonctionnement de mon truc, avec une confiance totale et une ambiance

Dans les premiers temps, il y avait conférence de rédaction tous les matins. Jean-Luc était impressionnant. Intelligent, drôle, charismatique, subtil. Au bout de deux ou trois mois, l’audience n’étant pas au rendez-vous, l’émission a été enregistrée, puis réduite d’une demi-heure. La conférence du matin n’avait plus lieu. Mais j’ai continué à le voir, notamment lorsqu’il passait, en fin de journée voir les équipes de Dream On.

DreamOn est l’entreprise de son ami Fabrice Guéneau qui était installée dans nos locaux, et s’occupait (entre autres) de tous les travaux graphiques pour Réservoir Prod : habillages, génériques, sites Web. C’est pour ça que j’étais installé dans leur voisinage, ce qui était une chance car ils étaient vraiment super agréables. Je me suis toujours entendu avec les graphistes.

Bref, Jean-Luc passait souvent nous voir et fumer une ou deux, euh, enfin, clopes, se détendre, discuter.  J’ai appris pas mal de choses en l’écoutant.

C’est là qu’un soir il nous a expliqué « La meilleure manière de fixer son prix, c’est de demander deux fois ce que tu penses que l’autre est prêt à payer. Tu as 50% de chances qu’il te dise oui, et s’il te dit non tu n’as aucun regret à négocier à la baisse ».

Une heure après cette discussion, je reçois un coup de téléphone de Thierry Roussel, le directeur marketing de Club Internet, qui me demande si je pourrais lui faire un job, conçevoir et rédiger un hors-série d’un magazine de 32 pages. J’applique la technique Jean-Luc et je demande 40 000 francs (pardon les jeunes). Je n’imaginais pas une seconde que Thierry accepterait, car je l’avais vu négocier comme un chien avec des fournisseurs et des pigistes lorsque je travaillais avec lui. J’étais presque mort de rire en lui annonçant le prix. J’étais sur le point de lui lancer un « allez 10 000, t’as de la chance que je ne sois pas encore au tarif Jean-Luc 2larue »

Mais à ma grande surprise, il a dit oui avant que j’aie le temps de réagir. 10 jours de boulot pour 4 mois de salaire… je n’y croyais pas.
Par la suite, j’ai retravaillé au même tarif sur de nombreux projets. A cette occasion j’ai compris une leçon importante, et je me mords les doigts à chaque fois que je l’oublie : un client qui te paie cher te donne les moyens de faire un bon travail, de lui rendre vraiment service, et il est généralement bien plus content du résultat qu’un client à qui tu fais un cadeau.

Mais ce qui m’a le plus impressionné chez Jean-Luc, c’étaient les enregistrements d’émissions; notamment  Ca se Discute. Jean-Luc n’avait jamais rencontré les témoins auparavant, ne les connaissait que par les fiches qu’il connaissait par coeur, et se fiait aux informations passant par sa légendaire oreillette. Purtant en le regardant `on avait vraiment l’impression que, d’une manière instantanée, il était capable de l’empathie la plus totale avec la personne en face de lui. Cela impressionnait tout le monde. Cette capacité m’étonnait tellement que j’ai plusieurs fois demandé à des proches de Jean-Luc s’il était purement professionnel ou bien totalement sincère. Aucun n’a su me répondre. Les deux, sans doute…

Jean-Luc, dans un studio de télévision, tout le monde le regardait avec un respect total. Je ne suis pas un pro de la télé, et donc pas capable d’apprécier l’étendue de son talent, mais tout le monde en parlait comme d’un surdoué. Un type qui ne se trompait jamais, qui savait instinctivement où regarder, où aller, où étaient les caméras. Je me souviens avoir entendu plusieurs fois son réalisateur, Silvano Manganaro, dire de lui qu’il était un extra-terrestre. 

J’ai d’autres souvenirs avec Jean-Luc. Les matches de foot hebdomadaires (il jouait avant-centre, se mettait devant les buts et il fallait lui faire la passe. Les matches étaient beaucoup plus intéressants lorsqu’il n’était pas là), les soirées Réservoir-Prod, aux Bains, à l’Olympia, et aussi une très belle nuit dans nos locaux du boulevard Murat. Des soirées vraiment extraordinaires, où il était difficile de ne pas avoir envie de s’amuser. La qualité de l’équipe y était pour beaucoup, on se sentait dans une famille.

Evidemment, il y avait parfois des scènes de courtisans pitoyables et inévitables autour de Jean-Luc, surtout les soirs où il était entouré d’autres people. Mais il avait su s’entourer d’une garde rapprochée qui lui épargnait ça. Et l’en protégeait la plupart du temps.

Au final, lorsque je lis un article sur Jean-Luc Delarue, je ne retrouve jamais ce type vraiment agréable, vif, souvent drôle que j’ai eu la chance de cotoyer. Je ne peux pas dire que je l’aie connu, mais je reste impressionné par ce qu’il a créé : une équipe, des liens, une énergie, un souffle, quelque chose de très dur évidemment (lorsqu’une émission était interrompue, 20 personnes quittaient la société dans la journée) mais de fondamentalement humain.

Je suis parti en 2000, l’aventure Réservoir-Prod s’est poursuivie, les choses ont peut-être changé. Mais pour moi cela reste un très bon souvenir. Demain soir il y a une soirée des anciens de Réservoir-Prod et ça va me faire très plaisir de revoir ces gens dont, pour certains, je n’avais plus de nouvelles.