Les deux dames d’en face

14 Jan 2014 | Portraits | 0 commentaires

Quand j’étais petit, il fallait que je monte sur une chaise pour regarder par la fenêtre de ma chambre. Et là je ne voyais que deux choses : les arbres et la maison d’en face, où vivaient les deux vieilles dames.

Je ne sais pas si j’ai su leur nom. Elles étaient toutes les deux retraitées et s’étaient installées ensemble dans cette petite maison au bout du monde, au bout de la rue du Bois-Vert, qui portait bien son nom puisque, après leur maison et la mienne, il n’y avait que les bois et les étangs.

J’allais souvent voir les deux dames d’en face. Elles étaient très gentilles avec moi (comme tout le monde,  à cette époque, pour autant que je me souvienne). Elles me donnaient des petits Lu. Et de l’orangeade. J’aimais bien m’installer sur leur terrasse qui était un peu en hauteur. Ainsi je pouvais regarder le pré, avec les chevaux sous les grands chênes. Puis je dévalais la pelouse en pente et je rentrais chez moi.

La maison des deux dames est la première photo que j’ai prise de ma vie. Je me souviens d’un matin de Noël où j’ai reçu, sous le sapin, un appareil photo et une pellicule. Je suis sorti immédiatement, en pyjama dans la neige et je me suis placé au milieu de la rue pour prendre la photo de la maison d’en face recouverte de neige.

Je vois encore cette photo. Mais dans mon imagination, car la pellicule n’a jamais été tirée. Elle était bien trop précieuse pour moi. Une fois que j’ai eu terminé de prendre les photos de la pellicule (ce qui a pris des années, j’avais peur de ce qui arriverait lorsque je n’aurai plus de pellicule), j’ai tout rangé et je n’y ai plus touché. La photo n’a donc jamais existé, mais c’est mon premier cadrage et j’en ai un souvenir très vif.

Les deux dames d’en face ont vécu longtemps dans cette maison. Je n’habitais plus à Pompadour lorsqu’elles sont décedées.