Monsieur Reynaud

28 Jan 2014 | Portraits | 0 commentaires

Il y avait un tennis dans le jardin de la première maison où j’ai habité, rue du Bois-Vert. Tout le monde pouvait venir jouer. En été, chaque soir, il y avait une vingtaine de personnes qui venaient jouer ou regarder les matches.

Monsieur Reynaud était l’une de ces personnes. Un vieux monsieur aux cheveux blancs. Il était toujours vêtu d’une tenue de tennis d’un blanc immaculé; son étui m’impressionnait beaucoup car il contenait deux raquettes. Les raquettes en bois qu’on avait à l’époque. Avant de jouer, il fallait dévisser le cadre qu’on fixait sur le tamis afin d’éviter qu’il se torde. Monsieur Reynaud faisait ça avec un grand soin.

Dans la sacoche avant de son étui, il y avait du baume du tigre et une petite bouteille d’alcool de menthe.

Monsieur Reynaud avait été, dans sa jeunesse, l’un des meilleurs joueurs de tennis français, il avait atteint la finale d’un tournoi de Monte Carlo. Bien qu’il soit de vingt ans plus âgé que tous les autres habitués du tennis de mon jardin, il jouait encore très bien et faisait souvent jeu égal. Il avait des gestes très élégants. J’aimais beaucoup monsieur Reynaud. Parfois, il arrivait un peu avant tout le monde et faisait quelques balles avec moi. C’est lui qui m’a appris à servir, à lifter.

Plus tard, Pompadour s’est enrichi de nombreux courts de tennis et plus personne ne venait jouer au Bois-Vert. Mais on voyait monsieur Reynaud chaque été, inscrit au tournoi de Pompadour dont les matches se jouaient près de la piscine, à l’orée de la forêt. Il jouait encore tout à fait correctement à l’âge de 80 ans. Il avait du métier et il lui arrivait encore de passer un ou deux tours en simple, parfois plus en double. On sentait que son corps le trahissait, mais il utilisait toujours les mêmes armes : baume du tigre et alcool de menthe. Sans jamais se plaindre, beau joueur mais se défendant avec panache avec tous les moyens dont il disposait. Grâce à monsieur Reynaud, je sais que ça n’est pas important de perdre ou de gagner, tant qu’on défend ses chances jusqu’au bout.

La dernière fois que je me souviens avoir vu monsieur Reynaud, ce n’est pas sur un court de tennis mais à l’église d’Arnac, une superbe église romane qui se trouve à deux kilomètres de Pompadour. Il y avait organisé un récital; il jouait les suites de Bach au Violon.

Monsieur Reynaud était meilleur au tennis qu’au violon. Mais j’aimerais beaucoup avoir la classe et la joie de vivre de monsieur Reynaud jusqu’à 80 ans et au delà.

Je ne sais pas si monsieur Reynaud est encore en vie. si c’était le cas, il aurait aujourd’hui bien plus de cent ans.