Lorsque je dis à une fille que je suis DJ, elle a souvent la réaction de me classer parmi les prédateurs qui peuvent se taper autant de filles qu’ils veulent.

En réalité, non. D’abord parce que je mixe jusqu’à la fermeture du bar, et qu’ensuite je préfère rester prendre un verre avec mes amis barmen plutôt que retrouver une inconnue dans le froid, à supposer qu’elle m’ait attendu.

Ensuite parce que lorsqu’une fille regarde le DJ avec des yeux de braise, elle est généralement accompagnée d’un garçon. Et son regard langoureux est bien souvent un signe qu’elle aimerait que le garçon l’embrasse, et comme ça ne vient pas, elle se regarde dans les yeux du DJ pour vérifier si elle est belle. J’ai appris à dire les mots bleus, les mots qu’on dit avec les yeux, aux inconnues de l’Expérimental qui m’envoient des regards de braise. Et j’ai appris que c’était mon rôle de me remettre à mixer après les avoir rassurées : oui, tu est magnifique.

Une fois, les choses se sont passées différemment. J’ai bien vu que la fille me regardait moi. Et je la regardais elle. On se plaisait. Evidemment on ne s’est pas parlés. Elle était avec ses amis, et moi je mixais. C’est un boulot; on est concentré, on n’a pas le temps d’aller draguer.

Lorsqu’elle est sortie, elle m’a fait un petit signe pour me dire que la musique était bien. Je lui ai tendu ma carte, elle m’a donné un papier avec son numéro de téléphone. Son prénom : Lucie.

Je l’ai appelée deux jours plus tard. Elle décroche « Bonjour Fred. Je suis en Afrique du Sud. Je t’appelle quand je rentre ». « OK, bon voyage ».

Et voilà, c’est tout.

Je l’ai revue six mois plus tard à l’Expérimental. Elle était avec un beau mec. Elle n’a pas eu besoin de chercher à savoir si elle était belle en se regardant dans les yeux du DJ. Je lui ai envoyé un SMS « joli garçon ». On s’est salués de la tête, avec un petit sourire complice. Puis j’ai effacé son numéro.

Et voilà, c’est tout.