Mademoiselle Bouygues

4 Juil 2014 | Enigmes, ephémères, perdus de vue | 0 commentaires

Mademoiselle Bouygues était mon instit de CM2 au collège Stanislas. Ma première année à Paris.

On venait de s’installer, l’école était à 150 mètres de la maison et je pouvais y aller à pied, je me suis vite fait quelques amis, mais je n’aimais pas du tout Paris. J’ai mis plusieurs années à m’y habituer. Dans ma tête j’étais de Pompadour, pas fait pour vivre ici.

Bref. On est ici pour parler des gens que j’ai rencontrés. Mademoiselle Bouygues était une petite femme menue, avec le visage figé dans le fond de teint, toujours tirée à quatre épingles. Un peu comme une poupée de porcelaine qu’on aurait sortie de sa boite le matin pour qu’elle vienne faire sa classe.

Au début de la semaine, elle nous donnait une liste de devoirs à faire et à lui rendre, dans toutes les matières, au plus tard pour le vendredi. On était libres toute la matinée pour effectuer ce travail.

Moi je terminais le français et tout ce qui me plaisait le premier matin. Puis je ne faisais plus rien jusqu’au vendredi, et je copiais les résultats sur les copains pour rendre les derniers devoirs avant la limite. Un jour, elle m’a piqué en train de recopier la solution dans le livre (ben oui, la solution était deux pages après l’exercice) et elle m’a viré de sa classe pour une semaine.

Elle n’était pas particulièrement sévère, mais j’avais du mal à m’attacher à elle, à m’intéresser à ce qu’elle racontait. Elle était vraiment très froide et distante. C’était une année triste, et elle la rendait encore plus triste.

Mais un jour, sans prévenir, elle s’est mise debout derrière son bureau et nous a fait un truc qui m’a sidéré à un point tel que je peux exactement la revoir à cet instant là :

  • Elle a pris une toute petite voix, fait un tout petit cercle avec ses doigts devant son visage, et dit « Askiwiwi ».
  • Puis une grosse voix, fait un large cercle avec ses bras, et grondé : « Askawawa ».
  • Puis elle a joint ses doigts devant sa bouche, les a écartés en faisant un gros « Zim »
  • Descendu ses mains devant son nombril en faisant un gros « Boum ».
  • Remonté les mains au desssus de son visage en faisant « Plouf »
  • Puis pris un air peiné, la tête penchée sur le côté, elle a poussé un « Ooooooh » de lamentation.
  • Puis, se faisant des petites oreilles sur les côtés de la tête avec ses index, elle a repris la voix d’Askiwiwi et dit « coucou ».
  • Puis, se faisant de grosses oreilles et prenant la grosse voix : « coucou »

Je sais, c’est compliqué à se représenter. Il faudrait que je me filme en train de le faire. N’y comptez pas trop.

Après avoir terminé, elle nous a regardés. On entendait les mouches voler. Elle nous aurait montré ses seins, on aurait été tout autant sidérés.

Elle a fini par demander « Qu’est-ce que c’était ? ». Personne ne savait, évidemment.

Réponse :

  • Askiwiwi est un petit chien, Askawawa est un gros chien.
  • Zim: ils glissent
  • Boum : ils tombent
  • Plouf : dans l’eau
  • Oooooh : ils sont noyés ?
  • Coucou : Non ! Askiwiwi sort la tête de l’eau.
  • Coucou : Et Askawawa aussi.

Je sais, c’est débile. Elle a fait un four total et cette histoire n’est pas passionnante, mais moi je m’en souviens encore et quand je pense à mademoiselle Bouygues, je la revois en train de faire « coucou » en remuant ses oreilles. Enfin, ses index.

Alors voilà, c’est mon souvenir, c’est comme ça, un point c’est tout.