Guy Bideault

28 Jan 2014 | Portraits | 0 commentaires

Mes parents ont rencontré Guy Bideault un jour sur un hippodrome. A Craon, je crois. Le jockey qui devait monter le cheval de mon père n’était pas disponible et Guy Bideault était le seul cavalier disponible. Je ne sais pas si ce jour-là Guy a remporté la course, mais mes parents sont devenus amis avec les Bideault, je suis devenu ami avec leur fils, Patrick Bideault (au passage si je refaisais sa fiche, maintenant que j’ai un peu de pratique, je pense qu’elle serait tout à fait différente).

[Mise à jour, 29 février 2020 – Ma mère m’a appris, en rentrant des obsèques de Guy, que la rencontre avait eu lieu à un dîner chez des amis communs, les Jussiaux]

Guy a continué à monter les chevaux de mon père pendant des années. Il a gagné pas mal de courses en montant Malaury, puis Corrézina. Sa technique : ne pas rester dans le peloton, partir devant, rester devant, terminer devant.

Guy était sous-directeur du haras de Pompadour. Un homme de cheval. Il souhaitait apprendre l’équitation à son fils, mais Patrick n’aimait pas ça. Pour le convaincre, il m’a proposé de venir moi aussi apprendre à monter.

Progressivement, il a renoncé à faire monter Patrick, et je suis devenu son élève unique. Je crois que j’étais pas mauvais, et surtout j’adorais monter. J’ai donc eu la chance d’apprendre l’équitation avec un professeur particulier de premier choix, dans le sublime manège du Puy-Marmont puis sur l’hippodrome et dans les forêts autour de Pompadour. J’allais le chercher à son bureau, dans une petite tour le long des douves du château, on descendait à l’écurie, il appelait un palfrenier pour m’aider à seller car j’étais trop petit.

Au début Guy me faisait monter Cocardier, un étalon national. Un cheval bai très grand. Je n’aimais pas tomber du haut de Cocardier, mais je m’entendais bien avec lui. Lorsque Cocardier a été trop âgé, j’ai monté un pur sang arabe dont j’ai oublié le nom, offert par un émir au Président de la République et entretenu au Haras de Pompadour. Puis Guy a fini par se résoudre à me faire monter Hatchoum, le demi-poney qu’il avait acheté pour Patrick mais que personne ne montait. Guy m’a appris l’équitation classique, mais aussi comment lâcher les rènes pour laisser faire la monture. Faire totalement confiance à son cheval lorsque le terrain devient dangereux; lorsqu’il faut traverser un cours d’eau, lorsqu’on dévale un talus, lorsqu’on galope dans la forêt. Plus d’une fois il m’a fait repasser un obstacle jusqu’à ce que je le surmonte, malgré la panique. Je me souviendrai toute ma vie du rire de Guy lorsque j’y arrivais enfin.

J’adorais les leçons d’équitation de Guy. Je n’imaginais pas faire autre chose dans la vie que devenir officier des haras, comme Guy Bideault (et, je l’ai appris plus tard, comme mon arrière grand-père). Je voyais mon futur très simplement : habitant au château de Pompadour, faisant une heure de cheval chaque matin, puis allant au bureau en culotte de cheval et en bottes. Comme Guy Bideault. Je n’ai renoncé à ce projet que lorsque, au lycée, il est devenu évident que je n’aurais jamais le niveau en maths pour faire Agro, intégrer l’école des Eaux et forêts et devenir Officier des haras.

Je passais beaucoup de temps chez les Bideault. Guy aimait bien nous emmener dans la nature : skier au Mont Dore, se promener dans les champs, faire des randonnées, nager dans des rivières à la con ou des étangs. Personne chez moi n’était comme Guy Bideault. Je l’aurais suivi en enfer.

Plus tard, Guy a été muté. Les Bideault sont partis vivre à Uzès, puis à Saint-Lô, et maintenant, à la retraite entre Uzès et Rambouillet. J’ai peu d’occasions de le voir mais Guy reste à jamais, même si j’ai eu d’autres instructeurs, celui qui m’a appris à monter à cheval, à me relever quand je tombe et à avancer même quand j’ai peur. Je pense à lui à chaque fois que je tombe, et à chaque fois que je m’aventure en terrain inconnu. Et j’essaye de me souvenir que le sel de la vie tient parfois aux chutes qu’on fait, aux peurs qu’on surmonte, et surtout au courage qu’il est possible trouver en soi pour se relever en ignorant la douleur, le goût de la sciure, la boue qui colle, et, parfois, les larmes.

Putain de canassons.