Mademoiselle Védrie

9 Fév 2014 | Portraits | 0 commentaires

J’ai mis longtemps à comprendre qui était mademoiselle Védrie. C’était une vieille dame, myope comme une taupe, avec des cheveux crêpus (dans mon souvenir) qui circulait dans Pompadour sur un grand vélo. Gentille, amie de mes grands-parents, s’entendant bien avec ma mère, qui nous rendait parfois visite. Bref une vieille dame. Mais qui m’invitait parfois à goûter chez elle.

Alors il fallait y aller. Elle vivait seule dans une grande maison froide de deux étages avec un nombre incroyable de pièces, située en face de la chapelle et à l’abri des murs du château. Je n’étais pas toujours seul invité à goûter. Emmanuel Gérardin, mon cousin, ou d’autres enfants, étaient parfois là.

Tout chez mademoiselle Védrie respirait « autrefois » : les ustensiles de cuisine, les tasses en porcelaine dans lesquelles elle me servait mon chocolat, qu’elle faisait à l’ancienne avec des carrés de chocolat noir fondus dans une casserole de lait, le vrai lait avec de la peau dessus ( Oh ! Comme je rêvais d’un Nesquik ou d’un Benco !), les madeleines qu’elle me servait… J’aurais dû les tremper, aujourd’hui je serais Proust, mais je n’osais pas. Je me disais que lorsqu’on se « tient bien », on mange ses madeleines sans les tremper dans le chocolat.

Mademoiselle Védrie me « faisait la conversation », elle me posait des questions sur mon travail à l’école, sur Dieu et autres sujets sur lesquels je me forçais à trouver des réponses qui pourraient lui convenir, en espérant que je ne serais pas obligé de terminer le chocolat.

Plus tard à l’adolescence, je revoyais mademoiselle Védrie à l’époque où ma mamie m’emmenait à l’église. Elle jouait de l’harmonium et elle chantait. C’était délicieusement faux. Ca nous faisait beaucoup rire, avec mes cousins FX et Manu, avec Vincent Queyraud, et tous les enfants qui étaient embrigadés dans le catéchisme.

J’ai appris qu’elle avait été « approchée »dans sa jeunesse pour épouser mon grand-père (il n’y avait pas beaucoup de jeunes filles disponibles dans la région) et que, par chance, ma mamie était arrivée avec sa famille, s’installer au château car mon arrière grand-père était officier des haras. Mademoiselle Védrie est donc un peu celle qui aurait pu être ma grand-mère. Elle est restée vieille fille jusqu’au bout.

Est-ce pour ça qu’elle m’invitait à goûter ?

Mademoiselle Védrie a pris de l’âge, a cessé de passer dans Pompadour à vélo, puis elle est décédée. C’est mon père qui a racheté la grande maison, où il a installé ses bureaux. Cette maison qui me semblait si étrange et froide est en fait une superbe maison de village, avec un joli jardin. A chaque fois que j’y passe, je repense à mademoiselle Védrie et à ses interminables goûters.