Pour la journée de la femme, je ne peux pas faire une autre fiche que celle de Monique, que j’ai harcelée au bureau. Oui, je suis un salaud. Je vais tout vous raconter.
Je travaillais chez Net2one, une startup de la rue du Sentier, à la grande époque des startups qui poussaient en 15 jours. J’avais un patron de 20 ans talentueux et incompétent à la fois, charmant et agaçant à la fois, et j’étais chargé de gérer les contenus d’un moteur de recherche qui permettait de se fabriquer une revue de presse automatique.
Bref, j’avais recruté une équipe d’une dizaine de documentalistes, et Monique en faisait partie. Ma victime.
Chacune des personnes de mon équipe avait pour mission d’identifier des sources d’informations fiables dans l’un des pays dont elle avait la charge, et de les référencer dans notre base. Monique s’occupait de l’Italie et de je ne sais plus quel autre pays.
Le problème, c’est que Monique identifiait 10 fois moins de sources que les autres documentalistes. Je suis donc allé lui parler, et lui demander ce qui n’allait pas. Elle m’a expliqué qu’elle ne se sentait pas bien, et qu’elle voulait quitter la boite.
Elle était en CDD, je savais qu’il est difficile de rompre un CDD, que le salarié le souhaite ou non. Je lui ai donc proposé de continuer jusqu’à la fin de son contrat, de faire de son mieux pour effectuer sa mission, et de prendre du temps chaque jour pour chercher un job. Je lui ai indiqué que si elle avait un entretien à passer, il lui suffirait de me prévenir. Bref, j’ai été plutôt sympa. Et en même temps j’étais plutôt content à l’idée de remplacer Monique.
Le soir, passant sur le site de l’INA, je suis allé regarder les petites annonces, et j’en ai envoyé deux ou trois à Monique, qui correspondaient à sa recherche. Sympa, non ? Eh ben non : ça c’est du harcèlement.
Quelques jours plus tard, Monique a demandé à aller en Italie passer un entretien pour l’un des postes dont je lui avais transmis l’annonce, je lui ai donné ses deux jours. Sympa non ? Eh ben non : c’est du harcèlement.
Enfin, c’est ce que Monique a prétendu. Quelques jours plus tard elle s’est présentée à l’entreprise avec un mot du médecin certifiant qu’elle était stressée par le travail et harcelée. Elle avait d’ailleurs des boutons partout dans le cou, qui prouvaient son état de stress. Elle est reparti en arrêt de travail, et l’inspection du travail s’est intéressée à son cas.
Nous étions une startup, le genre de boite jeune où on travaille à n’importe quelle heure, le genre de boite qui ne plaît pas. J’ai commencé à sentir que Monique préparait un dossier contre moi. J’ai commencé à me renseigner : pas moyen de faire témoigner les membres de mon équipe (parce que, en tant que subordonnés, je pouvais les menacer s’ils ne me soutenaient pas). Pas moyen de faire témoigner mon boss (parce que c’était sa boite). Bref : c’était ma parole contre celle de Monique (et celle de son médecin, et celle de son petit ami qui la soutenait…).
Les choses étaient mal engagées. Limite, perdu d’avance. Sans compter que si tu vas sur service-public.fr tu trouves la phrase suivante :
Le harcèlement moral est un délit puni de 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende.
Bref, j’étais un peu inquiet.
Nous avons pris rendez-vous avec Monique pour discuter de la situation. J’avais à mes côtés Cécile, la directrice financière, et Carole. Monique est arrivée, a sorti ses papiers du médecin, et répété qu’elle subissait un harcèlement de ma part pour la faire partir de l’entreprise, qui était la cause de son arrêt maladie.
Ce qui m’a sauvé, c’est Carole venait de m’apprendre que Monique avait reçu une réponse favorable de l’institut en Italie où elle avait passé un entretien, et qu’elle avait accepté le poste, qu’elle était super contente.
Sauf qu’elle était en CDD. J’ai donc fait comprendre à Monique que j’étais en droit d’exiger qu’elle reste jusqu’au bout de son CDD. Cela signifiait qu’elle ne pourrait pas prendre le poste. Je me suis bien gardé de formuler les choses comme ça (harceleur mais pas con, tout de même).
Je lui ai juste expliqué que tant qu’elle m’accuserait de harcèlement, je ferais tout pour qu’elle reste, afin de prouver qu’il n’était pas vrai que je souhaite son départ.
Monique était piégée : elle a retiré sa plainte, je l’ai laissée partir.
Moralité : rien de tel qu’un bon chantage pour se sortir d’une sale histoire de harcèlement.
Moralité 2 : toutes les personnes que j’avais prises dans mon équipe m’étaient très sympathiques. Monique était la seule exception. C’était une fille au physique tellement ingrat qu’elle en était dérangeante, qui parlait d’une manière étrange et un peu inquiétante, qui n’avait pas l’air sympathique. Bref, elle avait tout contre elle. Mais son CV était impeccable, elle avait plein de compétences, une belle expérience, alors je me suis dit « Fred, ton job ne consiste pas à embaucher des potes, mais à trouver les meilleures compétences pour remplir ta mission. Tu vas prendre cette fille ».
Sympa ? Ben non, c’est du harcèlement…
Moralité 3 : depuis ce jour-là, quand quelqu’un ne m’est pas sympathique, je ne vais plus le moindre effort.
Et sinon, vive la journée de la femme.
PS : Ah oui, j’oubliais, le CV de Monique était bidon, elle ne possédait pas la moitié des compétences qu’elle prétendait avoir acquises.