Arnaud est l’un des rares amis du Collège Stanislas avec qui je sois resté en contact.
Pourquoi devient-on ami à l’école ? Peut-être simplement parce qu’on s’est retrouvés à côté pendant un trimestre. Je n’ai aucun souvenir de nos premiers échanges. On ne se ressemblait pas vraiment, on n’avait pas les mêmes univers. Il avait un petit côté « vieille France », ne jouait pas beaucoup au foot.
Je me souviens qu’Arnaud est le premier ami parisien à m’avoir invité chez lui. Le goûter d’anniversaire chez les Brunet était ma première sortie parisienne. Il habitait à la station Glacière, à cinq stations seulement de Montparnasse-Bienvenüe. Ce trajet en métro fut l’une de mes premières explorations « en solitaire » au delà du quartier Saint-Placide / Notre-dame des Champs, ou se trouvaient le collège Stanislas, mon appartement et l’appartement de Beatrice Nyman, bref, mon univers de départ dans la jungle parisienne.
Il y avait cinq ou six autres élèves de la classe. Et surtout les parents d’Arnaud, ses frères. Entre sa mère très bourgeoise, son père et ses frères très bourrus (leurs fiches vont suivre), l’appartement très classique, le quartier très moderne et nouveau pour moi, j’étais désorienté, je ne savais pas exactement comment me comporter. C’est l’un des moments de mon acclimatation à Paris où je me suis senti « provincial ». Je me souviens aussi que j’étais impressionné par la proximité de la prison de la Santé, que je n’avais jamais vue auparavant, et qui me semblait tellement immense, comparée à la prison de Limoges à côté de laquelle j’avais vécu. J’imaginais Spaggiari et Mesrine derrière les murs. Je me représentais également la guillotine, que j’imaginais au milieu de la cour, toujours prête à servir.
Au cours des années suivantes, le hasard a bien fait les choses : nos niveaux scolaires assez voisins, et des tirages au sort heureux, ont fait qu’on s’est retrouvés dans la même classe de très nombreuses fois, Arnaud et moi. Au point de se voir à l’extérieur. Au point de passer des vacances ensemble, à Pompadour, ou bien dans la maison de ses parents, en Normandie. Au point de se retrouver dans le même « rallye », d’avoir la même bande d’amis… Au point de ne pas se perdre de vue à la fac, de s’inviter à nos mariages, bref, au point de rester liés.
J’ai plein de souvenirs très précis d’Arnaud. Sa voix, sa culture encyclopédique, sa connaissance hallucinante de l’histoire, son rire, ses frères… Mais le souvenir qui domine est celui de son écriture. Arnaud écrivait tellement mal que certains profs ne lui ont jamais mis la moyenne. Certains refusaient de le noter. Ses copies étaient illisibles. Arnaud est l’un des types les plus brillants que j’aie eu la chance de croiser, et pourtant il était un élève médiocre, à cause de son écriture.
Je sais que le problème l’a poursuivi en Fac, et je me suis toujours dit que ça avait dû l’empêcher de faire les études qu’il aurait pu réussir sans le moindre effort. Je revois encore ses pattes de mouches. Il faut avouer que c’était impressionnant.
On s’est vus longtemps, mais peu à peu perdus de vue. Je n’ai pas eu (ni pris) de nouvelles d’Arnaud depuis 4 ou 5 ans. La dernière fois qu’on s’est vus, c’était à un dîner chez lui. Il y avait aussi Norbert et sa femme (leur nom de famille me reviendra), et la belle soeur d’Arnaud. Je venais de divorcer. Je suis arrivé dans ce dîner de familles avec enfants, parlant de leurs vies. J’ai réalisé que la mienne venait de changer radicalement. Peut-être est-ce pour ça qu’on ne s’est pas revus ? Ca serait vraiment une mauvaise raison.