Monsieur Doussinault était prof d’éducation physique au collège Stanislas. Je l’ai eu comme prof de gym une ou deux fois entre la sixième et la terminale, et aussi comme prof de natation.
Mais surtout, il était l’entraîneur de l’équipe de foot des minimes, à laquelle j’appartenais.
Je me souviens de la manière très étrange dont j’ai intégré l’équipe. Une bonne partie des élèves de Stan étaient inscrits au foot, et beaucoup d’entre eux jouaient bien mieux que moi, surtout sur un grand terrain. J’avais un tout petit gabarit qui me favorisait dans une cour d’école surpeuplée, mais sur un terrain dégagé, les autres, plus forts, n’avaient qu’un coup d’épaule à donner pour me balancer. Je n’étais pas à mon aise. Je n’arrivais pas à faire de passes (d’ailleurs, je ne faisais pas beaucoup de passes)
Le jour du premier entraînement, donc, nous étions tous au milieu du bois de Vincennes, dans cet espace qu’on appelle Polygone. Pour y aller, il fallait prendre le métro, changer, prendre un bus, marcher. Bref, c’était le bout du monde. Il y avait une dizaine de terrains où jouaient plein d’équipes différentes. Les minimes de Stan avaient un problème : ils étaient bien trop nombreux pour former une équipe. Il y avait de quoi en faire trois. Le problème était donc de choisir qui intégrerait l’équipe première.
Je n’y pensais même pas. Je jouais avec mes potes dans un coin de stade, certain que je ne serai jamais retenu. Des types bien meilleurs que moi n’avaient pas été retenus.
Et puis, à un moment, monsieur Doussinault s’est approché et m’a dit qu’il me mettait avant centre. Rien que ça.
Nous étions deux avant-centres : Hautecoeur et moi. Hautecoeur était l’avant centre normal, et moi j’avais une consigne spéciale : mon rôle était de courir après le ballon, où qu’il soit sur le terrain et de tout faire pour le reprendre quand c’est l’équipe adverse qui l’avait.
J’ai compris au bout de quelques mois pourquoi Doussinault m’avait pris : j’étais infatigable; je pouvais courir 90 minutes sans faiblir. Et je me suis rendu compte que j’étais le seul dans ce cas. Jamais fatigué. Du coup, je pouvais mettre la pression en permanence, harceler l’équipe adverse à moi tout seul. J’étais le moustique de l’équipe.
Doussinault avait trouvé à quoi je pouvais être utile. Et il n’a pas eu tort : on a été champions de Paris. On a battu Albert de Mun en finale; j’ai marqué l’un de nos trois buts.